Récit personnel d’un parcours religieux et spirituel face au cancer du sein
Florence Touati-Wachsstock
Il y a celles qui sont en colère contre l’univers et puis celles qui veulent comprendre comment et pourquoi.
Il y a celles qui remettent tout en question ou au contraire celles qui continuent leur routine.
Il y a celles qui redoutent plus que tout de perdre leurs cheveux et d’autres de raconter à leurs enfants.
On ne sait jamais laquelle de ces femmes on est, jusqu’à ce qu’on devienne l’une d’elles.
Chacune avec son bagage et son histoire, réagit et fait face, à sa manière, au cancer du sein.
Dans la plupart des cas, pour se soigner, les malades devront abandonner une part de leur féminité : les cheveux de façon temporaire, l’un et parfois l’autre sein, souvent leur cycle menstruel pour les plus jeunes. C’est une part de notre identité qui nous est arrachée. Il faudra beaucoup d’efforts, de persévérance et de courage pour se réinventer.
Pour moi, le plus traumatisant aura été de subir l’ablation totale de mon sein gauche et ce, d’autant plus que la reconstruction immédiate ne m’était pas possible. Lorsque j’ai compris ce qui m’attendait, ma réaction première a été, de façon naturelle, de me tourner vers le judaïsme en me demandant ce qu’il pouvait avoir à me dire. Étant très sensible aux mots et aux textes, certains psoukim ou passages de la Tefila se sont mis à résonner en moi très profondément. Et puis, j’ai pensé à l’importance de l’intégrité du corps dans le judaïsme, à l’impératif que nous avons de respecter ce corps tel qu’il nous a été donné, dans la vie et même dans la mort. Pourtant me voici, prête à amputer mon corps, atteinte nécessaire pour ma survie. J’ai pensé également au mikveh. Depuis vingt ans que j’étais mariée à l’époque, j’allais régulièrement et scrupuleusement me tremper au mikveh. Les lois de l’immersion exigent que tout le corps soit immergé dans les eaux purificatrices, que pas un seul cheveu ne dépasse hors de l’eau. J’ai réalisé que bientôt, plus jamais, mon corps ne serait intégralement immergé. Un morceau de ma chair resterait définitivement hors du mikveh, hors de ma vie, hors de moi. C’était une pensée très déstabilisante. Je me suis mise à la recherche de réponses. J’avais soif d’une approche juive et féminine de ce qui m’arrivait. Je ne pouvais pas concevoir d’arriver à mon opération sans une préparation spirituelle et religieuse. Le judaïsme nous accompagne à chaque moment de notre vie, de la naissance à la mort, les rites et les prières nous permettent de donner un sens à chaque événement. Pourtant, alors que j’étais parvenue à un moment crucial et pénible de ma vie et que je désirais profondément cet accompagnement, je ne le trouvais pas. Alors, j’ai décidé de le créer.
Pour cela, j’ai réuni les deux éléments qui me paraissaient appropriés à la situation : le mikveh et la Tefila. J’ai commencé par composer ma propre prière que j’ai l’honneur de vous présenter ici. C’est la prière d’une femme qui est face à son Créateur, le remercie pour les joies que son corps lui a procurées, ce corps qui a aimé et été aimé, ce corps qui a donné la vie et a nourri. Car c’est en perdant une partie de mon corps que j’ai réalisé à quel point je l’aimais et combien de gratitude je ressentais pour tout ce qui m’avait été donné. Et puis, j’ai voulu exprimer aussi ma douleur, ma profonde tristesse de devoir me séparer de mon sein, tout en affirmant l’obligation que j’avais de le faire. Et enfin, j’ai exprimé l’espoir dans l’avenir, dans mon avenir. Espoir de surmonter cette épreuve, de me retrouver dans les multiples rôles qui composent ma vie. J’ai intégré des psoukim ou des expressions de la Tradition qui me semblaient adéquates. Je me suis également inspirée d’une prière que Fanny Neuda (écrivaine juive du 19e siècle qui a composé beaucoup de prières en allemand) avait composée pour sa propre guérison et qui a été traduite par Alisa Lavi (auteure entre autres de Tefilat Nashim). J’ai travaillé et retravaillé mon texte jusqu’à ce que je sente que chaque mot était parfaitement à sa place. Alors j’ai décidé que je la prononcerai deux fois : lors de mon dernier mikveh avant la mastectomie et le jour même de la chirurgie. Il était clair que mon dernier mikvé revêtirait un sens particulier. Ce serait la dernière fois que j’immergerais mon corps dans son intégrité. C’est pourquoi je ne voulais pas que les choses se passent de façon impersonnelle. Il fallait que la balanit (l’intendante du mikveh) qui m’accompagne me connaisse et sache ce que j’étais en train de vivre. Le choix de cette femme a été évident, j’avais la chance de connaître Sarah comme une femme délicate, de grand cœur et de grandes midot. Elle officiait dans l’un des mikvaot de la ville. Je n’ai eu aucun mal à lui faire part de mon projet, elle a réservé le mikvé pour que ce moment puisse être intime et m’a accompagnée avec beaucoup de douceur et de respect. Par la suite, c’est aussi à elle que j’ai fait appel quand j’ai dû aller me tremper après l’opération, épisode très éprouvant également.
Le mikveh et ma prière m’ont permis d’arriver assez sereine à l’opération. Pour être tout à fait honnête, faire face à la suite et me relever de cette épreuve n’a pas pour autant été simple. Mais mon cheminement religieux m’a permis d’être dans l’action et de ne pas uniquement subir ce qui m’arrivait. Le judaïsme qui imprègne ma vie m’a fourni les ressources et les outils nécessaires pour trouver la réponse à mes besoins et guérir non seulement mon corps, mais aussi mon âme.
J’ai eu, depuis, le privilège de partager ma prière avec d’autres femmes qui se sont approprié ses mots et je le fais à nouveau aujourd’hui grâce au site des Yoatzot Halakha. Puisse cette prière contribuer à la guérison des malades et leur apporter du réconfort !
- Vous pouvez imprimer cette tefila ici : prière mastectomie